Patricia Cottron-Daubigné est professeur de latin dans le marais Poitevin.
Elle a publié dans de nombreuses revues telles que Décharge, Friches, Poésie première, Triages, Contre-allée, et plusieurs recueils dans la petite édition, notamment Soc et Foc, Tarabuste et l’Idée Bleue. Ce sont les éditions de la Différence qui ont fait paraître Croquis Démolition.
Il s’agit d’un petit livre de prose poétique, moins de cent pages, mais qui pèse son poids d’humanité.
L’auteure y fait le récit, avec ses mots de poète, de la délocalisation vers la Bulgarie de l’usine de roulements à billes S.K.F. de Fontenay-le-Comte, où son compagnon a lui-même travaillé avant son licenciement.
Dans un souci de vérité, elle s’est immergée pendant plusieurs semaines dans l’usine, avant sa fermeture, et a pu ainsi vivre, au jour le jour, la vie des ouvriers, en prouvant par cet exemple que l’on peut créer une poésie remarquable en parlant de questions sociales et du quotidien de la vie qui va.
« Dans une usine où ils ne sont plus, je dirai usine, pour l'enfance, pour le père qui usa des jours, tant d'heures chaque jour, usine pour la vérité du bruit dans le mot, du cambouis du goudron dans le mot et jusque sous les ongles, entreprise on doit dire, ça ferait moins de machines à répétition, on serait pris entre soi consentants et propres, mais je dirai usine, là où ils ne sont plus, je dirai usine, pour l'enfance, pour le père dont elle a pris le corps, pour le père et tous qui donnent leur sérieux et leur savoir, le geste et même sa répétition à usiner des pièces ; n'entreprennent pas les ouvriers ils font. »
In Croquis-Démolition © La Différence, 2011 p. 12
Elle a capté leur confiance. Ils lui ont confié leurs désarrois devant cet inéluctable dont seul restera un petit livre, cette infime, dérisoire et pourtant inoubliable trace de poésie.
« Ce serait donc pour eux, un livre, l'improbable dans à peine une question, « vous allez faire un livre ? ». Ils espèrent, ils voudraient. Ils savent ce que font les livres aux hommes. Devant leurs machines, mains graisseuses et noires, pleins d'odeurs d'huiles brûlées, l'odeur de l'usine, des moteurs, dans le corps, et même dans des endroits secrets du corps, l'odeur encore après la douche, les ouvriers devant leurs machines me demandent un livre, espèrent les mots, ce qui resterait d'eux et de l'usine, tant d'années, après, une trace quand ici tout serait fini. »
Ibid p.19
« Souvent l'expression revenait, insistante, « vous vous rendez compte », comme si de dire à celle qui écrit, qui aurait les mots peut-être, leur phrase, à eux, allait s'imposer, l'injuste, visible, la dureté des jours et le mépris où on les tenait. Oui, je rendrai compte, « 1 300 euros par mois, vous vous rendez compte, au bout de trente ans de boîte ». Je serai l'écho, sa parole à elle suffit. Elle, l'épouse de celui qui n'apportera même plus les 1 300 euros chaque mois ; la lettre est arrivée, l'épouse a des tremblements dans la voix ; « c'est pas facile », ni de l'argent qui manquera, ni de l'homme, l'époux, mâchoires serrées, pas un mot dans les jours, dans les repas, et la nuit sans chaleur. La voix tremble du silence et de la honte, et de la douceur qui manque. Il faudra tant d'énergie pour vivre les jours. Je donnerai leur voix pour témoigner, d'avoir en soi ce qui s'effondre, l'existence sans le travail. »
Ibid p.53
Une visite de l’usine, juste pour l’ambiance, avant la fin…
(…) « Je recule devant le cœur gueulant de l'usine, la brutalité de la machine ; ils ouvrent une porte, blindée, une deuxième, épaisses les deux et je recule, le ventre tordu de l'odeur qui suffoque : des tuyaux, des fils, du bruit qui hurle, du liquide partout qui pue et gicle, sur les parois, partout ; et les mains pleines, ne pas se sentir mal, il faut que je touche, c'est la puissance de la machine qui claque ses roulements métal contre métal, ne pas se sentir mal, je suis dans le cœur de la fierté de l'homme qui affronte la machine, la pire. J'entends mal ce qu'ils expliquent, le roulement, le passage, la meule, la surveillance, chaque jour et combien de fois, le ventre blindé de l'homme face, et ses poumons comment blindés de quoi, le travail qui vivre et mourir je me dis, les fils de mon cerveau raccrochent moins bien, le travail, sa perte, vivre sans, et vivre avec, dans cette violence, je ne sais pas comment. »
Ibid p. 26
Et puis vient la cérémonie funèbre plusieurs fois renouvelée des licenciements. Les ouvriers sont convoqués un par un au bureau de la direction.
« Les mains sont restées serrées dans les poches. « On disait rien. » L'un après l'autre, les noms sont tombés « C'est étrange comme on était calme. On disait rien. Pourtant on avait envie, on sait pas, de crier, de casser ; la tension était là dans notre silence la colère tout au fond. C'étaient pas des fainéants, pas des tire-au-flanc qu'on nous arrachait. Des mecs bien, qui bossaient. » À la tristesse, ils ajoutaient la honte, c'est ce qu'ils disaient « on a rien fait ». Ils sont restés silencieux, en bleu de travail dans les odeurs d'huiles et de dissolvants, avec des envies de pleurer. Il y avait le silence des machines et soi qui ne partait pas. »
Ibid p. 38
Croquis-Démolition a donné lieu, à sa parution, à un long article de Louis Dubost dans le n° 152 de décembre 2011 de la revue Décharge, intitulé « Du bleu de travail à la variable d’ajustement » et qui se termine ainsi :
« Demeurent à jamais un grand trou dans l’âme, le saccage d’une vie qui avait sens pétri de sueur et de sang, la logique de l’insensé d'un monde-machine dont on extirpe la moindre parcelle déviante parce que trop humaine. Patricia Cottron-Daubigné nous donne un magnifique et grand poème tragique à l’instar des Tragiques, élaborées jadis en d’autres circonstances tout autant inhumaines, d’un certain Agrippa d’Aubigné qui fut gouverneur huguenot de Maillezais, à quelques kilomètres seulement de Fontenay-le-Comte. »
Et tout récemment P. Cottron-Daubigné a eu droit, pour son livre, à un entretien dans l’émission culturelle de France 2, Des mots de minuit, souvent reléguée aux heures insondables de la nuit, souvent vers quatre heures du matin…
Bibliographie
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Croquis démolition © Ed. La différence 2011
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Les autres recueils publiés par Tarabuste, Soc et Foc et l’Idée Bleue ne sont pas disponibles.
Internet
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Sur Remue.net, des extraits de ses recueils.
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Sur le blog d’Alain Freixe, une approche biographique complète de la poétesse.
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Chez Terre à Ciel, des extraits de poèmes et un entretien.
Contribution de Jean Gédéon
Une précision : le livre "Une manière d'aile" publié par SOC & FOC en 2008, avec des peintures de Patrick Sanitas, est disponible http://www.soc-et-foc.com
Rédigé par : Editions SOC & FOC | 10 avril 2013 à 18:01